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Cécile Bidault perce l’écorce de la surdité

L’Ecorce des choses, c’est l’histoire d’une petite fille sourde qui dépasse sa différence pour mieux embrasser le monde qui l’entoure. Son autrice, Cécile Bidault, nous raconte la genèse de ce projet empreint d’une belle et tendre sensibilité, couronné du Prix Artémisia Avenir.

Décortiquer un sujet complexe

Comment en êtes-vous venue à la bande dessinée ?

Cécile Bidault : Mon approche de la BD s’est faite en plusieurs étapes. J’ai commencé à en lire très vite avec les Tintin et Gaston Lagaffe, avant de découvrir les Pilote et les Métal Hurlant de mes parents. Ensuite j’ai commencé à participer aux concours lancés par le festival d’Angoulême, d’abord les scolaires, puis le concours Jeune Talent. Ça m’a permis de me rendre dans cette ville et de découvrir de nouvelles bande dessinées.

Je me rappelle par exemple d’une exposition de Brecht Evens qui m’avait beaucoup impressionnée et m’influence encore beaucoup. En sortant du lycée, je me suis directement tournée vers des études artistiques. Une année préparatoire à Estienne et un diplôme des Arts Déco de Paris plus tard, je suis devenue autrice à plein temps !

Comment est né le projet L’Ecorce des choses ?

Cette BD est un projet vraiment personnel. Dans ma famille, il se trouve que des proches étaient touchés par la surdité. Y être confrontée m’a sensibilisée dès le plus jeune âge à la question du langage, de la différence, de la communication au sein d’une famille. L’Ecorce des choses m’a permis d’aborder tous ces questionnements à travers l’histoire d’une petite fille sourde qui emménage dans une nouvelle maison avec ses parents.

Quelle vision de la surdité vouliez-vous mettre en cases ?

L’héroïne est certes sourde mais ce n’est pas ce qui la caractérise. L’Ecorce des choses n’est pas tant une histoire sur la surdité que sur le problème de communication. Je m’intéressais surtout au fait que la petite fille était la seule à ne pas avoir les clés pour parler, pourtant elle était la plus intéressée par la communication. Les autres peuvent parler mais ne savent plus parler, notamment ses parents. A mesure que l’histoire avance, on remarque que leur relation avec leur fille est compliquée et qu’ils ont du mal à échanger avec elle.

A travers cette histoire, je voulais montrer que ce n’est pas du tout ce handicap qui est problématique, mais plutôt la manière dont l’entourage le gère. Petit à petit, par sa volonté, la petite fille va parvenir à ressouder le monde qui s’effondre autour d’elle, notamment grâce aux liens qu’elle tisse avec son nouveau voisin. Je trouvais important de mettre en scène un personnage qui dépasse la différence de la fillette, pour fonder une amitié.

L’histoire se déroule à une époque particulière...

On situe en effet l’histoire autour des années 70, une période où la langue des signes était interdite. Interdire une langue et toute la culture qui gravite autour est quelque chose de fort, du coup planter le décor à cette époque ajoutait une force symbolique au récit. La BD étudie à l’échelle d’une cellule familiale, les effets de ces restrictions...

Cerner l’écorce des choses, en somme ?

L’idée du titre vient de mon éditeur. J’y ai adhéré car dans l’écorce, il y a l’idée du dedans et du dehors. Ces deux versants collaient bien au récit, qui navigue entre le point de vue intérieur de la petite fille et la réalité du monde qui l’entoure.

Dans la peau d’une sourde

Mais le point de vue de la petite fille est très présent, au point d’influencer le format de la BD…

J’ai effectivement opté pour une BD muette, pour que le lecteur s’immerge dans un monde sans son et soit au plus près de la petite fille. Ce format m’a permis d’explorer un langage de l’image. D’ailleurs on retrouve quelques éléments de langage des signes, notamment lorsque la fillette trouve un livre sur les gestes de plongée. Le format m’a toutefois posé quelques contraintes car j’avais envie de représenter en dessin sa quête du son.

Après plusieurs pistes, le symbole du poisson m’est venu à l’esprit. Dès le début de l’histoire, l’héroïne a l’impression d’être dans une sorte de bocal, de ne pas pouvoir parler sous l’eau : il me paraissait cohérent qu’elle se figure le son au travers de poissons et autres éléments aquatiques. Au départ, elle voit le son comme quelque chose de positif, les poissons sont donc plus colorés, plus amicaux et leurs mouvements plus doux et évanescents. Or à mesure qu’elle se sent exclue du cocon familial, cette vision se dégrade et les poissons se font plus sombres et plus agressifs.

Hormis le poisson, la présence de la nature est très forte. Qu’apportent ces éléments à l’histoire ?

Quand la petite fille déménage, elle arrive dans un univers rural, qu’elle ne connait pas du tout et commence à embrasser ce nouveau cadre. Comme je ne pouvais pas décrire en mots l’émerveillement de la petite fille, je l’ai accentué au niveau du dessin. La nature permettait de traduire au mieux ces sentiments. Sachant que le décor allait être assez fouillé et lourd graphiquement, j’ai épuré au maximum les personnages pour qu’ils puissent ressortir et être plus expressifs.

Au-delà de la narration, avez-vous dû vous documenter pour être au plus près du sujet ?

J’ai lu des livres qui parlaient de surdité et me suis pas mal inspirée de la chaîne de Rikki Poynter, qui raconte son quotidien de malentendante profonde. Mais la majeure partie du travail venait d’entretiens que j’ai eus avec des personnes touchées par la surdité, en particulier des adultes. Je m’attendais à ce que cela influe le travail narratif, mais absolument pas l’aspect graphique.

Par exemple, au niveau des teintes, les premières versions des pages comportaient deux- trois couleurs. Les planches finales sont beaucoup plus colorées, car en parlant avec eux, j’ai appris que l’absence d’audition exacerbe davantage les autres sens notamment la vue. Alors je me suis dit que quitte à être du point de vue de la petite fille, autant la mettre en image tout en saturation et en détails.

A qui adresseriez-vous L’Ecorce des choses ?

Je ne me suis pas posé la question. Ce n’est que durant les festivals et les différentes présentations de la BD, que j’ai pu récolter les retours. Ils venaient aussi bien d’adultes et enfants et j’étais très contente que le livre touche un spectre aussi large de lecteurs. Aussi bien les jeunes que les adultes, des personnes concernées par la surdité ou pas !

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