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Une humanité Bleu Amer

Dans Bleu Amer, Sylvère Denné et Sophie Ladame montent un huis clos sur des îles bretonnes. En pleine Occupation, l’arrivée d’un Américain y déclenche dilemmes et réflexion philosophique. Entre quelques éclats de rire, les deux auteurs nous racontent leur premier album, né d’une belle complicité.

Peindre l’humanité en nuances

Comment est née votre amitié ?

Sylvère Denné : Avant de connaître Sophie, j’ai cherché à travailler dans la BD sur Paris comme commercial. Je sortais d’une carrière de 10 ans dans l’immobilier et je n’ai pas réussi à trouver de boulot là-dedans. Je me suis ensuite tourné vers la Fnac du Forum des Halles, où je gérais la BD indépendante. Puis une fois revenu à Saint-Malo il y a dix ans, je suis devenu barman est j’ai rencontré Sophie.

Sophie Ladame : On s’est énormément retrouvés au festival du Quai des Bulles, car on était bénévoles sur les expos. L’ambiance très humaine nous portait beaucoup et à force de rencontrer des auteurs de BD et de sympathiser avec eux, on a tous les deux eu envie d’être auteurs.

Sylvère Denné : On a même monté une maison d’édition, qui n’a pas fait long feu...

Sophie Ladame : Ce qui nous a quand même permis de comprendre le milieu du livre.

De cette complicité est née la BD Bleu Amer...

Sophie Ladame : J’ai toujours dit à Sylvère qu’il avait une sacrée une plume et un super humour ! J’aimais bien son dynamisme et sa culture de la BD, dont il avait déjà cerné les codes, ce qui s’équilibrait bien avec mon monde du dessin. D’autant qu’il connait bien mon travail...

Sylvère Denné : J’avais déjà monté pour Sophie des expositions de ses carnets de voyage [Sophie est carnettiste de profession N.D.L.R]. Avec Bleu Amer, j’ai rapidement imaginé un sujet sur mesure pour elle, car je connaissais sa capacité à dessiner la roche, les bateaux, la Bretagne.

Votre huis clos se déroule dans les îles de Chausey, en 1944 sous l’occupation allemande. Pourquoi avoir choisi ce cadre âpre ?

Sylvère Denné : L’histoire de Bleu Amer est basée sur un crash d’avion qui a eu réellement lieu au printemps 1944, à partir duquel on a échafaudé une fiction. Bleu Amer n'est pas un livre d’Histoire : la guerre, les Allemands... sont juste une excuse pour confronter les habitants à l’arrivée de l’Américain, qui va faire advenir un triangle amoureux, la trahison, la mélancolie, le rapport à l’étranger. Ce soldat va devenir une sorte psychologue, à qui des habitants plutôt taiseux vont se confier. Un peu comme ces amis à usage unique, à qui on se livre.

Sophie Ladame : Ce qui m’a frappée aussi dans le scénario de Sylvère c’est que ces gens ne rendent même pas compte des événements qui les entourent. Comme nous, qui vivons actuellement notre quotidien malgré les horreurs qui se déroulent autour de nous, notamment la crise des migrants. Et là il y a ce grain de sable vient bouleverser le train-train quotidien...

Sylvère Denné : Ce grain de sable peut arriver à n’importe quelle époque et de n’importe quelle manière : dans notre vie amoureuse, familiale... Mais le cadre des îles de Chausey, nous a aussi posé des contraintes : t’enlèves l’église, les homards, les cailloux, et il ne reste pas grand-chose. Mais ça nous a aidés à devenir inventifs et plus libres grâce aux contraintes.

D’ailleurs face à l’arrivée de l’Américain, les réactions des habitants sont diverses...

Sylvère Denné : Réactions qui s’avèrent être toutes justes au final. Au fur et mesure qu’on montait l’histoire, Sophie et moi débattions des situations qu’endurait chaque personnage. D’un côté, il y a Pierre qui se sent humilié face à l’arrivée du bel Américain, je le comprends complétement. Sophie m’a dit : « Il a va pas le donner aux Allemands par jalousie quand même ? ». Alors que ça me paraissait complètement compréhensible !

De l’autre côté, il y a Jonas, qui voulait le livrer aux Allemands pour protéger les siens de représailles. C’est des points de vue différents. On ne juge aucune réaction bonne ou mauvaise : toutes s’unissent pour former la complexité humaine !

La nature comme toile de fond philosophique

Toutes les situations s’enchaînent sous la forme d’un carnet de voyage. Pourquoi avoir choisi ce format ?

Sophie Ladame : D’abord pour me rassurer ! [rires] Il fallait un cadre qui me parle, car la narration était nouvelle pour moi, à créer à partir de rien. Même si Sylvère et moi, nous étions rendus à Chausey et que j’avais quelques photos du lieu, il y avait des attitudes et des personnages à inventer. Puis le format rendait la lecture plus palpable, plus immersive. Elle laissait plus de place à la spontanéité et à « l'accident ». C’est à dire qu’à force, certains lapsus et ratés graphiques permettent de faire évoluer l'histoire...

Sylvère Denné : Et la forme du carnet permet aussi de chapitrer l’histoire et d’installer des plateaux pour chaque thématique qu’on voulait mettre en scène : la trahison, le rapport à l’étranger ou bien la mélancolie. Des sujets que Sophie et moi avons dû injecter inconsciemment dans nos planches.

Tous les dessins sont produits sur papier kraft. Cela n’ a-t-il pas présenté trop de contraintes ?

Sophie Ladame : On a un peu hésité à opter pour ce matériau, par peur qu’il nous ennuie. Mais on s’est aperçu que ça rendait les éléments maritimes beaucoup plus naturels. Par exemple pour éviter qu’un citron tire vers le vert plastique, on injecte de l’ocre dans le vert et le kraft permet d’obtenir sa teinte. Ce fond permet de lier les choses. D’un point de vue technique ça peut paraître embêtant, mais ça ne l'est pas plus que le papier blanc qu'on a tendance à remplir ! Avec le kraft, on crée la lumière qu’on veut et j’aime bien localiser ma propre lumière. [Rires]

La nature des îles Chausey est aussi mise en avant. Quelle ampleur apporte-elle à l’histoire ?

Sophie Ladame : Quand je dessinais, je pensais énormément au film La Ligne Verte où la mise en avant de la nature sert de contrepoint. Pour moi qui, à trois ans, adorais contempler la mer depuis un petit bout de rocher, c’était merveilleux. Alors avec Sylvère, on s’est arrangés pour amener ces petits éléments de nature pour enrichir la narration. Le homard aide à comprendre l’humain et son choix d’évoluer ou rester dans le mal-être, notamment par des touches de rouge qui se manifestent au fil des pages.

A mes yeux, le ciel, peint en bleu, est la seule fenêtre vers l’ailleurs. Les marées accompagnaient les mouvements des personnages. Chacun d’entre eux m’a touchée, car à travers eux, on pense qu’on ne peut pas bouger, qu’on n’a pas le choix. Sauf qu’on a toujours le choix. Même Pierre qui reste accroché à son caillou et dit à l’Américain qu’il connait la mer mais n’a jamais rien vu de la terre... C’est aussi pour ça aussi que j’insiste sur les plans sur la mer, pour représenter la vie chacun pourrait avoir.

Dans l’ensemble, les personnages assez taiseux mais la gouaille pointe son nez à chaque dialogue...

Sylvère Denné : Je suis barman en Bretagne, donc j’ai déjà entendu un paquet de conneries ! [rires] Et j’aime bien travailler mes dialogues. On les joue beaucoup avec Sophie : certains même sont écrits par elle, avec mon ton. C’est important de les placer avec une certaine élégance et bien positionner les silences !

Un autre projet à quatre mains après Bleu Amer  ?

Sophie Ladame : A six mains précisément ! Un troisième auteur s’ajoute à notre prochain projet ! Le récit aurait pour protagoniste un bagnard, qui raconte sa vie et ses fantasmes. Cette fois-ci, on tend à être plus ambitieux en terme de lieux et personnages !

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Commentaire (1)

Bonjour,

je ne réagis jamais aux forum ou à quoi que soit d'autre sur Internet, mais là !!!

Je suis né dans la charmante ville de Granville en NORMANDIE. et il se trouve que les îles Chausey, que je connais très bien d'ailleurs, sont NORMANDES et non Bretonnes, et sur le plan administratif,elles font même partie de la commune de Granville. Alors, par pitié, les bretons, arrêter de vouloir tout nous piquer : CHAUSEY EST NORMAND ET NON BRETON... Merci !

Le 07/03/2018 à 17h31