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Kris et une tragique nuit brestoise

Bretagne, guerre et amour... Avec Nuit noire sur Brest, Damien Cuvillier, Bertrand Galic et Kris promettent une fresque historique riche en rebondissements ! Ce dernier nous en dit un peu plus sur cet ouvrage qui déterre une affaire d’espionnage oubliée de la guerre d’Espagne !

Un épisode méconnu de la guerre d’Espagne

Nuit noire sur Brest dévoile au lecteur un fait historique quasiment tombé dans l’oubli. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Kris : Nuit noire sur Brest retrace l’affaire du commando franquiste qui voulait récupérer le C2, un sous-marin républicain qui avait atterri de façon inattendue à Brest en 1937. C’est un épisode historique peu connu aujourd’hui mais il traduit parfaitement les machinations des camps adverses.

Extrait page 5 de Nuit noire sur Brest

D’un côté il y a les membres du commando fasciste, infiltré par une taupe agissant sous le surnom de X-10. De l’autre côté, on retrouve José-Luis Ferrando, un nationaliste aux commandes de l’équipage du sous-marin composé en majeure partie d’anarchistes et de communistes.

Cet événement révèle comment le conflit arrive indirectement en France, tout comme les actions de nombreuses milices d’extrême droite, comme la Cagoule, qui désirent renverser la République. On a dans cette histoire tous les ingrédients d’un vrai James Bond anarchiste !

Extrait page 63 de Nuit noire sur Brest
Il s’agit d’une BD historique, un genre récurrent dans votre bibliographie. Qu’est-ce qui vous plaît dans cet exercice ?

Kris : Le récit en costume est toujours quelque chose de chouette à dessiner. Généralement, un épisode historique m’intéresse à partir du moment où il fait écho à des valeurs et à notre actualité. Nuit noire sur Brest est un bon exemple car on y aborde les problèmes d’intégration, de bi-nationalité, à travers les migrants républicains qui ont débarqué en Bretagne par chalutier pour fuir la répression de leur pays.

C’est une situation malheureusement proche de ce qu’on vit aujourd’hui avec les réfugiés syriens : à l’époque, il y avait aussi beaucoup de débats sur leur intégration qu’on jugeait impossible... alors qu’aujourd’hui la question ne se pose plus pour les descendants des espagnols ! En plus de ces questions, j’essaie de donner de la profondeur au récit en travaillant beaucoup la psychologie des personnages, afin de les rendre attachants pour le lecteur.

Extrait page 58 de Nuit noire sur Brest
Quelle base documentaire avez-vous utilisée pour construire ce récit ?

Kris : L’affaire du C2 est restée longtemps oubliée, avant qu’une association brestoise ne s’y intéresse de nouveau. Depuis dix ans, les membres de MERE 29 travaillent à rétablir la mémoire de cette histoire extraordinaire. L’écriture de la BD a été énormément orientée par leurs recherches ainsi que les travaux de l’historien Patrick Gourlay. Son livre Nuit franquiste sur Brest est une mine incroyable de découvertes et de témoignages, dont celui de la fille de Ferrando. D’ailleurs c’est lui qui a écrit le dossier historique qu’on retrouve à la fin de l’album!

On a pu récupérer pas mal de documents iconographiques dans L’Affaire du sous-marin rouge, un documentaire qui va bientôt être diffusé sur France 3, pour célébrer les quatre-vingt ans de la guerre d’Espagne ! Son réalisateur, Hubert Béasse, a pu accéder à une quantité d’archives d’époque conservées par la police, sur lesquelles on a pu baser la conception des personnages, notamment les membres du commando.

Cap sur les terres brestoises

Au-delà des faits historiques, on sent une atmosphère particulière dans la bande dessinée, proche de celle du cinéma des années 30…

Kris : Pour l’atmosphère, Nuit noire sur Brest reprend beaucoup d’éléments des films d’époque. On retrouve notamment les figures des sales types et celle de la femme fatale, incarnée dans la BD par Mingua, la belle italo-espagnole chargée de faire passer Ferrando du côté de camp nationaliste. On a glissé pas mal de clins d’œil à ces chefs-d’œuvre, dont Quai des Brumes, Pépé Le Moko et surtout Remorques qui se déroule à Brest.


Extrait page 39 de Nuit noire sur Brest

Avant le tournage de Remorques, Trauner, chargé du décor, s’était rendu sur place pour photographier la ville à cette période. Ces clichés nous ont été très utiles pour installer l’ambiance particulière du port de Brest, avant qu’il ne s’écroule sous les bombardements de la Seconde Guerre mondiale...

Une ambiance que Damien Cuvillier ressuscite sur ses planches. Comment est née votre collaboration ?

Kris : Damien et moi nous sommes rencontrés lors du festival d’Amiens, avant de se retrouver dans le cadre d’un projet d’album collectif intitulé La Crise, quelle crise ?. J’y racontais l’histoire de mon père, dont le commerce avait déposé le bilan à cause de l’instabilité économique. Au départ j’hésitais à collaborer avec Damien, qui avait un trait comique, peu approprié pour un sujet aussi sérieux, mais il a su s’adapter facilement à la gravité du récit.

Extrait page 11 de Nuit noire sur Brest

Damien a ce talent de faire des planches en couleur directe à l’aquarelle, avec un dessin à la fois réaliste, mais aussi caricatural. Exactement ce que je voulais pour les personnages de Nuit noire sur Brest. À l’époque je n’avais pas pensé à le greffer au projet, vu qu’il était censé travailler sur l’adaptation d’un roman de Morbillat. Seulement l’idée l’emballait tellement que je n’ai pu faire autrement que lui confier le dessin !

Comment s’est organisée la composition de l’album ?

Kris : Pour la scénarisation de la BD, j’ai été rejoint par Bertrand Galic, avec qui j’avais déjà collaboré sur Un maillot pour l’Algérie. Vu que nous vivions l’un à côté de chez l’autre, le récit s’est bâti en direct. Une fois l’écriture finie, nous nous repartissions le découpage des scènes, case par case. Après avoir corrigé et remodelé l’ensemble, on envoyait le scénario à Damien. Lorsque ce dernier avait fini les planches, Bertrand et moi faisions un compte-rendu commun, avec les retouches à faire.

Extrait page 63 de Nuit noire sur Brest

Ecrire une BD à quatre mains est assez chouette, car ça nous permet de combattre une certaine solitude du scénariste. C’était plutôt facile d’échanger avec Bertrand, même si on avait des points de vue différents au sujet de la scénarisation. Alors que Bertrand adore les scènes d’action, je préfère les scènes plus intimes. Elles ne font pas forcément avancer l’intrigue mais elles ont le mérite de grandir certains personnages comme Mingua. Je tenais à lui donner plus d’épaisseur, et montrer qu’elle n’était pas seulement une femme vénale à la botte des franquistes. Certaines scènes, en particulier une d’elle enfant, tentent de révéler ses intentions, ses doutes aussi, face à son histoire d’amour avec Ferrando.

Extrait page 52 de Nuit noire sur Brest

Bertrand et moi avons beaucoup discuté sur ces points scénaristiques, afin de fondre de manière harmonieuse nos idées. Ça prend beaucoup de temps, mais ça nous fait gagner en technique. Mais parfois il faut se détacher de cet aspect pour que nos créations épousent au mieux notre personnalité ! Comme avait dit Jacques Brel à journaliste de France Inter : « La technique, ah mais monsieur, en matière artistique c’est péché mortel ! »

D’autres projets en cours après Nuit noire sur Brest ?

Kris : Plein ! Le plus avancé est Notre Amérique, la suite de Notre Mère la Guerre toujours avec Maël au dessin. L’intrigue se passe au lendemain de la Première Guerre mondiale et suit le parcours des soldats survivants sur la voie des révolutions qui vont marquer les années 20-30 ! Il sort le 13 octobre.

Extrait page 49 de Nuit noire sur Brest
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