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L’Esprit du 11 janvier est mort ? Pas si sûr.

Serge Lehman et Gess décryptent la marche qui a suivi les attentats du 11 janvier, touchant Charlie et l’Hyper Kasher. Cela demandait intelligence et finesse, recul et sensibilité, absence d'opportunisme. Leur récit, L'Esprit du 11 janvier, paraîtra pour certains philosophique, comme une enquête mythologique clairement revendiquée. Pour d'autres ce sera une chronique pointilleuse de ce qui a fait et défait notre attitude post-attentats. Gess et Serge Lehman expliquent L'Esprit du 11 janvier, peut-être mort.

Vous avez dessiné L’Esprit du 11 janvier, Gess. Comment êtes-vous arrivé dans cette aventure ?

Gess : C’est vraiment une idée et le travail de Serge. J’ai accepté parce que c’était lui qui me le demandait. Je savais qu’il écrirait quelque chose de beau et d’important. Je ne voyais pas ce que je pouvais apporter seul, hormis mon rôle de citoyen.

L'esprit du 11 janvier

Comment avez-vous travaillé avec Serge Lehman ?

Gess : Serge m’a donné toutes les images et j’ai mis en scène. Tout n’était pas écrit : il voulait que les images soient parfois vues par le prisme d’un dessin décalé. La dernière page a été bouclée la veille des attentats au Bataclan. On n’a rien repris car l’album intégrait déjà ce qui pouvait se passer après Charlie.

Avec Serge, on se téléphonait tous les jours : il avait une idée précise et avait découpé son récit comme un scénario. Avec un sujet pareil, on se sent investi d’une responsabilité et on a un peu peur. Il fallait transcrire une communion laïque très lourde de sens.

L'esprit du 11 janvier

Cet album est une façon de faire son deuil, de réfléchir ?

Gess : On peut retrouver encore cet esprit du 11 janvier, qui a été si fort qu’il a simplement montré que c’était possible. Il y avait un supplément d’âme comme dans tout deuil familial. La France était devenue une seule famille après Charlie et l’Hyper Kasher. Charlie Hebdo représente l’esprit de Voltaire, mais le 11 janvier on ne se rassemblait pas uniquement pour ça. Il fallait être ensemble.

Charlie, c’était un combattant en première ligne dans une guerre où deux visions du monde s’affrontent. Charlie se battait par l’esprit, les images, le dessin. Ils ont été attaqués par des dévoyés d’une religion.

Serge Lehman compare le 11 septembre et Charlie, trouve des concordances avec d’autres événements…

Gess : Serge a relevé plein de choses très troublantes qu’il décrit dans notre récit. On peut aussi penser que ce sont des coïncidences.

L'esprit du 11 janvier

Ces coïncidences comme la sortie du livre de Houellebecq le jour de l’attentat, c’est un hasard en fait ?

Serge Lehman : Si ce sont des coïncidences, elles ne sont pas significatives. Mais cela valait la peine de faire abstraction de la raison en les citant. En fait les tueurs ont attaqué ce jour-là parce que le mercredi il y avait la conférence de rédaction à Charlie Hebdo. Mais on n’est pas du tout dans une théorie du complot.

Quel est le poids aujourd’hui du 11 janvier ?

Serge Lehman : On avait besoin d’intérioriser la marche, avoir la preuve que nous étions bien à son image. Le 11 janvier est un élément fondateur. En novembre dernier, j’ai entendu une réaction très significative de quelqu’un qui disait « vous n’aurez pas ma haine ». La France a parfaitement bien réagi comme peuple et j’ai voulu le montrer. On n’est pas tombé dans le piège.

L'esprit du 11 janvier

Cela peut changer ?

Serge Lehman : Oui, on peut craquer. Au contraire si on prend l’exemple de Luz, le dessinateur qui échappe à la tuerie grâce à son retard, on a le fil rouge de cette tragédie. Il a eu un geste très fort avec la Une de Charlie quand il reparaît : il y place le mot « pardon ». Un geste extraordinaire d’ouverture : et il faut rappeler que c’est lui qui avait signé la première Une des caricatures.

Vous semblez avoir eu du mal à vous mettre à l’œuvre ?

Serge Lehman : C’était difficile de trouver l’autorité légitime de faire ce travail. Je me suis convaincu que j’avais le droit de le faire. Si Gess ne m’avait pas suivi, je n’aurais pas continué. En fait on a signé un essai, ce qui en BD est rare mais fonctionne finalement. Si nous gardons un état d’esprit qui découle de celui du 11 janvier : nous serons mieux armés pour l’avenir.

L'esprit du 11 janvier

Toutes les images de cette interview sont soumises au copyright suivant : © Éditions Delcourt, 2016 – Lehman, Gess


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