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La Ville qui tuait les femmes

Nathalie Sergeef et Corentin Rouge ont créé un thriller dans Juarez, la « capitale mondiale du crime ». Dans leur one-shot, ils suivent Gaël, à la recherche de sa soeur. Ils nous racontent comment est né ce récit, innervé par la mafia.

La Cité de la pègre

De quoi est née cette histoire ?

Nathalie Sergeef J’ai découvert la ville mexicaine de Ciudad Juárez [considérée comme l’une des plus violentes au monde, particulièrement à l’égard des femmes N.D.L.R.] dans la rubrique des faits divers, que je lisais un peu. Mais le déclencheur de ce récit a été l’interview de deux journalistes qui avaient écrit La Ville qui tue les femmes. En les écoutant, j’ai développé une fascination pour cette ville qui parait incompréhensible… J’ai ensuite réuni de la documentation sur cette ville ultra-violente. Et il y en a pléthore !

Vous avez opté pour une histoire très réaliste, sur quoi vous êtes appuyée pour cela ? Vous y êtes allés ?

Nathalie : Non, nous n’y sommes pas allés. À l’époque où j’ai commencé à écrire le scénario, la ville était en pleine guerre des narcotrafiquants et l’armée quadrillait la zone. Avec toute la documentation que j’ai réuni, la galerie de personnages et l’intrigue sont apparus très vite, ainsi que cette structure « en boucle » du récit.

Comment est né le personnage principal ?

Nathalie : Juarez n’est pas une enquête traditionnelle, avec un meurtre et le coupable à trouver. Il fallait un véritable symbole pour cette ville qui tue les femmes : l’enjeu était de représenter cette nébuleuse de meurtres et les victimes à travers un personnage. Donc sans rien révéler de l’intrigue le concernant, il nous fallait un personnage pour incarner tout ça.

J’avais peur que le lecteur ne se laisse pas mener en bateau avec tous les indices sur la révélation finale laissés au long du chemin. Il y un vrai jeu de miroir avec la mort et la famille. Comment survivre à ça ? Ce personnage est né ambivalent, car il est né en même temps que le récit. Il fallait qu’il soit brisé et que sa flamme de révolte le pousse à comprendre ce qui est arrivé.

Corentin Rouge : Il fallait que je crée un personnage ambigu. Au cinéma, ça aurait été très difficile, mais en BD, c’était beaucoup plus facile de tricher sur pas mal d’aspects du dessin ! J’ai dû gommer pas mal de caractéristiques du personnage pour que l’intrigue fonctionne.

Et de quoi vous êtes vous inspirés au niveau graphique pour recréer Juarez ?

Corentin : Grâce à Internet, on a plein d’images de cette ville, malgré l’éloignement du lieu. Les chaînes de télé américaines m’ont donné pas mal informations avec leurs documentaires, vu qu’elles sont à la frontière. Je me suis aussi beaucoup servi de documentaires photos. Je me suis beaucoup renseigné sur l’organisation, l’agencement de la ville dans le désert, les bidonvilles par rapport au centre ville. J’ai donc joué sur les images imaginaires que je suis faites en lisant l’histoire de Nathalie et celles de la ville réelle.

Ce qui m’a donné envie de dessiner le Mexique, c’était les films d’Inarritu. Que ce soit Babel pour les scènes dans le désert ou Amours chiennes pour les scènes de famille ou les décors. C’était ma porte d’entrée dans ce climat là, limite Far West. Et aussi No country for Old Men qui se passe du côté américain mais qui a la même ambiance.

Quête d’identité au milieu d’un cimetière

La couverture, marquante, est tirée d’une scène au milieu du livre. Pourquoi l’avoir choisie ?

Corentin : J’ai bien aimé dans cette scène la mise en avant d’une quête d’identité au milieu d’un cimetière, à travers le miroir de la mort. C’est une scène où le personnage a un flash de la personne qu’il recherche. Et j’avais trouvé pas mal de documents sur les fêtes dans les cimetières au Mexique, très graphiques et très colorées.

Nathalie : Cette fête, c’est la fête de la mort, très ancrée dans les cultures mexicaines. Même si le prix d’une vie n’est pas considéré de la même façon qu’ici, le jour des morts est très important dans le calendrier mexicain, qui mêle culture indienne et chrétienne.

Corentin : En fermant l’album, on peut voir cette scène rétrospectivement, comme si la mort, le cimetière nous guettait…

Et comment avez-vous recréé le contexte mafieux de la ville ?

Nathalie : Moi, je pose juste les choses : Gaël, qui enquête, croise des gens. Ils sont tous plus ou moins impliqués dans une mosaïque mafieuse. On est habitués à avoir la clef des intrigues mais pas ici. Finalement, on n’a qu’un seul morceau de vérité, qui s’échappe déjà. On veut comprendre mais beaucoup de choses nous échappent. Nous voulions mettre en avant le mystère qui se dégage de cette ville où tant de gens disparaissent.

Comment avez-vous créé cette ambiance ensemble ?

Nathalie : J’ai fait un script avec un découpage par planche et par case mais après c’est Corentin qui a story-boardé l’album. On a tout revu ensemble à chaque étape pour ajuster les détails.

Corentin : Après la création du story-board, on en a reparlé. Après j’ai fait les planches au fur et à mesure pour les montrer à Nathalie et faire des petits changements.

Nathalie : On a beaucoup travaillé ensemble, par exemple, pour une scène, j’avais deux scénarios possible et Corentin m’a aidée à choisir. Surtout que c’est mon premier scénario écrit donc il fallait que j'apprenne à dépasser ma timidité.

Pour donner ce rythme particulier, on fait à l’instinct. On avait en tête l’idée de quelque chose de caché, une balade plus lente jusqu’à l’explosion de la violence. Il y a le film Trafic qui rend un peu la même chose. Quelque chose qui ressemblerait à l’accent mexicain, indolent mais qui peut cacher une certaine cruauté.

Et quels sont vos projets à venir ?

Corentin : Moi je développe un projet autour du Brésil, à Rio. Le premier tome est fini et le deuxième est en cours. C’est une fresque sociale contemporaine de la ville de Rio, avec tous les niveaux sociaux représentés.

Nathalie : Je travaille sur quatre choses différentes : le premier projet a pour décor la France sous Louis XIV pendant le grand Hiver 1709, sur une idée originale de Philippe Xavier. Le deuxième projet, avec Fabio Pezzi au dessin, passera par l’Afghanistan, la Libye, le Maroc et la Tunisie, avec la problématique de la prise d’otages contemporaine. Le troisième sera un one-shot sur les Maras, ces gangs salvadoriens, entre Vénézuéla, Guatéméla et Salvador. Le dernier projet se déroula dans les années 40 à Cuba, pour une tranche de vie particulière...

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