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Briac et Le Gouëfflec font revivre la nuit brestoise de Mac Orlan

Ils sortent La nuit Mac Orlan, chez Sixto, une petite maison d'édition qui gagne à être connue. Briac est dessinateur (Armen, Quais divers), Arnaud Le Gouëfflec écrit. Beaucoup. Chansons, scénarios de BD, romans... Rencontre détendue au fil d'une dédicace chez Christophe Duprat, dans sa librairie Happy collector à Quimper.

Obsédés par Brest

Comment vous êtes-vous rencontrés et avez-vous été amenés à travailler ensemble ?

Arnaud Le Gouëfflec : On s'est rencontré il y a quatre-cinq ans au festival du Chien jaune à Concarneau. On s'était dit qu'on pourrait faire une BD ensemble. Nous avons, Briac et moi, la même obsession brestoise : on souhaitait tous les deux faire une bande dessinée dont l'histoire se passerait à Brest, d'où je suis et où je vis. Briac est très attaché à cette ville.

Une fille spécialiste de l'écrivain Pierre Mac Orlan me harcelait depuis quelque temps pour que je lise ses œuvres. Un jour, j'ai mordu le fruit en lisant le mémoire de cette étudiante. Cela a été notre porte d'entrée. Nous n'avons pas voulu faire une BD sur sa vie car elle n'a pas été passionnante : le personnage était fascinant, c'était un travailleur obstiné qui a passé la majeure partie de son existence derrière son bureau, un perroquet sur une épaule. L'idée nous est venue de raconter une histoire obsessionnelle et d'utiliser les thèmes qui étaient chers à cet écrivain comme orientation de notre récit. En situant l'histoire dans le Brest d'aujourd'hui.

Marin débarque à Brest pour un voyage qu'il n'est pas près d'oublierMarin ne se doute pas que son voyage à Brest le mènera aussi loin

Briac : J'aime beaucoup Brest, je suis un Brestois assimilé, même si je vis à Guingamp, dans les Côtes de porc ! (rires, Côtes-d'Armor). La Nuit Mac Orlan n'a pas été un projet évident à vendre à un éditeur. Comme j'avais travaillé avec les éditions Sixto, spécialisées dans le polar et la BD, implantées en Bretagne et notamment à Nantes et Brest, sur un projet collectif pour la SNCF, Quais divers, on s'est dit qu'on allait leur proposer. Ils ont été séduits par notre proposition et ont dit « oui » tout de suite.

Comment s'est déroulé le travail sur cet album ?


Briac dessine sa passion pour Brest dans Armen

Briac dessine sa passion
pour Brest dans Armen

Arnaud Le Gouëfflec : J'ai d'abord écrit le scénario. En lisant Armen, la précédente BD de Briac, j'avais été frappé par son graphisme, cette ambiance très glauque et pesante qui me faisait penser à Tardi quand il a illustré Voyage au bout de la nuit de Céline. Ça m'a parlé de suite. Puis on s'est rencontré et on a sympathisé immédiatement, et ça, ça ne se commande pas ! Une fois que le scénario a été achevé, je lui ai soumis et on a travaillé dessus pendant un an. Avec de nombreux réajustements au fil de son travail, car selon moi, c'est le dessin qui commande en BD.

Briac : Dans ce genre d'histoire un peu folle, il était important pour moi d'avoir le scénario dès le départ pour ne pas être perdu et savoir vers quoi je me dirigeais. Au niveau du dessin, je commence par un crayonné. Je fais ensuite un fond sur lequel je travaille. J'avais découvert une technique pour le projet Quais divers que j'ai réutilisée ici : mes planches sont enduites de Gesso, une sorte de sous-couche blanche sur laquelle je dessine ensuite à l'encre et à la peinture. Et mon outil indispensable, c'est l'essuie-tout : il me permet de dégrossir, enlever des trucs, faire des effets, dégager le surplus. Pour Armen, j'avais uniquement travaillé à la peinture acrylique, là j'ai ajouté l'encre en plus. J'avais besoin de retrouver le mouvement du dessin même si tout est peint.

Comment avez-vous été amenés à travailler avec Philippe Marlu, auteur-compositeur et interprète de talent (Casse-Pipe, Les Valses machines...), écrivain de polars et donc aussi lettreur ?

Car je l'avais fait moi-même pour Armen et je n'étais vraiment pas satisfait de mon travail ! (Rires) Comme on se connaît bien et que je sais qu'il travaille bien, je lui ai demandé.

« Brest est une scène de théâtre »

Et au service de quel récit ! Pouvez-vous nous en parler Arnaud ?
Marin sépcialiste de l'auteur Pierre Mac Orlan

Marin, spécialiste de l'auteur
Pierre Mac Orlan

Arnaud Le Gouëfflec : Ce qui m'intéresse chez Mac Orlan, c'est qu'il est un auteur à multiples facettes. Il était peintre, écrivain, et même un proto-scénariste, l'un des pionniers français du scénario de bande dessinée. J'ai toujours été fasciné par les auteurs multi-média, touche à tout.

En plus de ça, mon intérêt pour Brest m'a inspiré dans mes décors, mes ambiances. Brest est une scène de théâtre qui a beaucoup influencé Mac Orlan. Même s'il n'y est pas resté très longtemps. Il a découvert la ville peu avant la Deuxième Guerre mondiale, les bombardements et la destruction. C'est un bon endroit pour voir des marins se donner des coups de couteau la nuit, dans une rue sans lumière... (rires).

Mac Orlan prônait le fantastique social. Selon ce concept, le fantastique émane du naturel, des vieilles pierres, de notre patrimoine et lorsque le monde moderne est arrivé, il va tout changer. En fait, c'est le contraire qu'on observe à travers le fantastique moderne.Ce qui l'intéressait, c'était de créer les conditions du fantastique. On a essayé avec cet album de coller à sa philosophie et sa démarche.

Marin est plongé en plein coeur de l'univers de Mac Orlan !

Marin se retrouve plongé en plein
coeur de l'univers de Mac Orlan !

On a voulu raconter une histoire en développant les thèmes récurrents de Mac Orlan : la nuit, la lanterne lumière dans la nuit, le pirate, le squelette, le marin, le cabaret... Comme je suis un fervent admirateur de Stevenson, il y a plusieurs clins d'oeil à son œuvre : la boîte de nuit « Le diable dans la bouteille », titre d'un de ses récits... C'est presque oulipien : on s'est imposé des contraintes pour y faire évoluer une histoire qui peut être lue par quelqu'un qui ne connaît pas tout cela. Le premier niveau de lecture est le plus important pour moi, mais j'aime bien qu'il y en ait un deuxième. J'aime les jeux de piste, les choses codées.

Vous tenez aussi une rubrique de musique décalée en BD dans La Revue dessinée et vous êtes très productif ?

Arnaud Le Gouëfflec : Je connais le scénariste brestois Kris qui m'a branché là-dessus, ça me plaît bien de pouvoir chroniquer en bande dessinée des musiciens en marge. J'écris aussi des livres en parallèle. J'ai un roman noir qui devrait sortir à l'automne et une BD sur la vie de Vince Taylor programmée en 2016 chez Glénat. Elle sera dessinée par Marc Malès. Un gros travail de 150 planches... L'idée est de mettre en évidence les ressorts cachés d'une vie. Il a eu un destin tragique lié à son enfance : ça peut tous nous concerner, de près ou de loin.

Et vous Briac, avez-vous des projets ?

Briac : Oui, je bosse depuis pas mal de temps sur une histoire, Méridien. Il s'agit d'une expédition scientifique à l'Equateur au XVIIIe siècle. J'ai commencé seul mais ça n'avançait plus, du coup, j'ai soumis le projet à Arnaud. C'est une histoire très cortomaltésienne, un one-shot en une centaine de planches. Là aussi y a du boulot ! Je préfère les histoires en un album, les grosses séries, ce n'est pas trop mon truc. Pour l'instant on n'a pas encore cherché d'éditeur mais je ne me fait pas de souci, c'est le genre de sujet historique apprécié.

Briac et Arnaud Le Gouëfflec lors d'une dédicace à Quimper

Briac et Arnaud Le Gouëfflec lors d'une dédicace pour La Nuit Mac Orlan à Quimper

Votre point de vue sur Méridien, Arnaud ?

Arnaud Le Gouëfflec : C'est une BD en costumes. A l'époque, il y a deux grandes théories sur la recherche des pôles de la Terre : Nord-Sud et Est-Ouest. Une expédition va mesurer un degré du méridien. Ils sont tous devenus dingues là-bas, les passions humaines ont été exacerbées par l'éloignement, ça plus le coup de bambou des tropiques... Les vices ont éclaté, ils ont vécu à la limite de la folie. Tous sont rentrés par des moyens différents. C'est ce que racontera Méridien.

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