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Nancy Pena, conteuse à l'univers envoûtant

Remarquée pour son incroyable trilogie du Chat du kimono, où les légendes japonaises côtoyaient l'Angleterre victorienne, Nancy Peña s'est alliée cette fois-ci à la romancière Blandine Le Callet pour réinventer le mythe de Médée. Découvrez l'univers de cette conteuse au trait envoûtant.

La BD comme une évidence

Comment êtes-vous venue à la BD ?
Corneel dans Le Cabinet chinois, la première bande dessinée de Nancy Peña

Corneel dans Le Cabinet chinois,
la première bande dessinée de Nancy Peña

Mon père est un collectionneur de bandes dessinées, donc j’en ai toujours lu. C’était plutôt de la BD des années 50, américaine et franco-belge. C’est en lisant Will Eisner et Le Spirit que j’ai vraiment découvert les possibilités du médium. Ensuite j’ai fait des études d’art appliqué, j’ai passé une agrégation et suis devenue professeure.

Au même moment, j’ai publié ma première bande dessinée, un peu par hasard : mon copain en faisait à l’époque et je m'y suis mise. J’ai envoyé des planches au site BD Sélection pour avoir des avis mais je ne pensais pas du tout en faire un album. Vincent Henry, qui était journaliste sur ce site, montait La Boîte à bulles juste à ce moment-là. Il m’a dit : « Si tes deux planches font partie d’un projet, je les prends ». Et voilà, ça a démarré comme ça. Donc c’est vraiment par hasard que je suis venue à la BD.

Quelles sont vos références en matière de BD ?

Will Eisner, c'est vraiment celui qui m'a donné envie de faire de la bande dessinée. Après, je suis revenue à la BD avec la vague d'auteurs comme Christophe Blain, Joann Sfar... Ce sont eux qui ont montré que l'on pouvait faire du roman graphique, qu'il pouvait y avoir une fibre romanesque dans la BD.

Dans votre dernier album, vous reprenez le mythe de Médée. Comment est né ce projet ?

C’est venu de Blandine Le Callet, la scénariste. Casterman souhaitait mettre en relation des romanciers et des illustrateurs, et elle leur a proposé ce projet. Ils ont sélectionné plusieurs illustrateurs potentiels, et Blandine m’a choisie pour travailler avec elle.

Comment travaillez-vous ensemble ?

Elle avait déjà un projet assez précis et avait travaillé le scénario toute seule. Ensemble, on découpe les planches et ensuite je dessine et j’encre. Elle est toujours très présente sur le projet et on échange pratiquement tous les jours. Le travail avec elle est facile, car c’est une grande lectrice de BD. Elle sent vraiment bien le rythme, les cadrages... Après, c'est vrai que c'est très différent de la façon dont je travaille toute seule : d'habitude, il y a une grande part d’improvisation. Là, évidemment, les choses sont plus carrées.

Quelles techniques de dessin utilisez-vous ?

Pour les albums chez La Boîte à bulles, c'est à la plume et à l'encre. Mais je fais aussi un peu de gravure et je pense que mon trait, avec beaucoup de hachures par exemple, vient de là. En revanche pour Médée, tout est en numérique, avec une palette graphique. Ça vient du fait que j'ai moins de temps, enfin disons une charge de travail plus importante.

Comme je ne découpe pas pour moi, je ne peux pas tricher. Et j'ai plein de problèmes de dessin qui se posent. Donc c'est super parce que ça me fait progresser, par contre je mets plus de temps. J'ai un dessin qui est un peu plus réaliste aussi sur Médée. Du coup la palette me permet d'aller plus vite que la plume.

Vos albums sont souvent en noir et blanc, ou vous faites appel à des coloristes. Pourquoi ne pas travailler la couleur ?

J'ai assez de mal à sentir la couleur, alors que le noir et blanc, c'est plus mon truc. Du coup pour Médée, j'ai deux coloristes : Céline Badaroux-Denizon, que j'ai connue au lycée et que j'ai retrouvée récemment, et Sophie Dumas, qui est venue nous aider car on avait un peu de retard. Du coup j'ai juste à régler les harmonies colorées et là, c'est beaucoup plus facile pour moi comme travail. L'équipe fonctionne très bien comme ça, donc on garde cette formule-là.

Illustration du Chat Botté revisité par Nancy Peña
Le Chat Botté revisité par Nancy Peña

Un univers singulier

Comment est-ce que vous avez travaillé l'univers graphique pour Médée ?

Le pays natal de Médée, c'est la Colchide. C'est un univers qui était déjà mythique pour les Grecs, ce n'est pas du tout un univers historique. Du coup j'étais assez libre et j'ai fait un mélange entre plusieurs cultures : grecque, assyrienne, égyptienne... Mais il n'y a rien d'historique là-dedans. C'est un univers assez hétéroclite. J'ai fait des recherches architecturales, de costumes, de motifs autour de ces univers antiques. J'ai tout mélangé et ça a donné l'univers de Médée.

Les ornements décoratifs, les motifs sont effectivement très présents dans votre travail...

J'ai vraiment le goût de la chose iconographique, en aplats, décorative.... Je suis très intéressée par l'art nouveau, par la période du japonisme, la façon dont les Européens ont réinterprété les influences qui venaient du Japon... Et c'est vrai que ça transparaît dans mon travail.

Vos histoires sont très influencées par les contes et légendes, d'où vient cet attrait?
La jeune fille et son kimono préféré dans le Chat du kimono

La jeune fille dans Le Chat du kimono

Très tôt, mes parents nous ont raconté des histoires à ma sœur et moi. Mon père était féru de mythologie gréco-romaine et ma mère nous racontait plutôt des contes européens comme ceux de Grimm, d'Andersen...

Je me suis rapidement rendue compte qu'il y avait des liens entre tout ça : certaines histoires de la mythologie grecque correspondent à des thèmes d'autres cultures par exemple. J'ai eu l'impression très tôt qu'il y avait comme un creuset universel d'histoires, dans lequel on pouvait puiser, qu'on pouvait recombiner.

Dans Le Chat du kimono par exemple, les chats qui s'animent sur le kimono, ce sont les robes de Peau d'âne pour moi. Je me suis inspirée de ce conte.

Mais ce qui est drôle, c'est que des lecteurs m'ont appris que cette légende de kimono animé existait aussi au Japon ! Il y a donc vraiment des thèmes communs.

Vous travaillez généralement seule sur vos BD, est-ce que le travail à deux sur Médée  vous a donné envie d'autres collaborations ?

Je me sens plus illustratrice qu'auteure pour Médée. Mais je préfère travailler seule, parce que c'est un vrai travail de création. Ce que j'aime bien dans ces cas-là, c'est la partie d'improvisation et de surprise qu'on a quand on est seul. Hors là, à deux, ce n'est pas possible. Dans une collaboration, il faut que ce soit structuré.

Et puis Médée va quand même me prendre un certain temps : il y a quatre tomes de prévus, peut-être cinq si la série marche. Donc effectivement, à côté, je préférerais retrouver un travail plus personnel avant de réattaquer une collaboration.

Quels sont vos projets ?

Le prochain tome de Médée sortira en janvier 2015. J'ai également d'autres projets, mais je préfère ne pas en parler maintenant. Je ne sais pas si je vais pouvoir faire ça à côté de Médée, qui est quand même un gros travail, donc on verra !

Médée petite fille et encore insouciante

Médée petite fille et encore insouciante

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