ZOO

L'auteur de Mexicana nous raconte sa carrière

Fan de Tintin et de Blueberry, c’est en autodidacte que Gilles Mezzomo s’est lancé dans le monde de la BD. Dessinateur passionné, il enchaîne les projets et les séries à succès. En pleine préparation du deuxième tome de Mexicana, il revient sur son parcours, dense et varié !

Case inédite du tome 2 de Mexicana

Des chemins de fer à la BD...


Il semblerait qu’auteur de bandes dessinées n’était pas votre premier métier. Pouvez-vous nous retracer un peu votre parcours ?

Mon premier métier c’était cheminot et c’est par un concours de circonstances que je suis arrivé à la bande dessinée. En effet, l’occasion de mettre le pied à l’étrier s’est présentée lorsque j’ai remplacé Jacques Armand sur la série Le Roi vert chez Dupuis, une adaptation d’un roman de Paul-Loup Sulitzer. Mais depuis tout gosse j’aimais dessiner.

J’ai participé aux cinq dernières planches de son album avec Christian Rossi et Al Coutelis. On m’avait juste demandé de refaire certaines têtes pour m’imprégner un peu de l’univers du Roi vert et ensuite avec Jean Annestay, le scénariste, j’ai fait le tome deux et trois, puis avec Denis Lapière qui a pris la relève, les tomes quatre et cinq.

Avec la série Destins vous avez succédé à Yves Lécossois et Michel Durant en reprenant un personnage que d’autres avaient conçu. N’y a-t-il pas quelque chose d’ingrat de ne réaliser qu’un chaînon ?

C’est un sacré pari mais c’était ça qui était génial ! L’idée de mêler plein d’auteurs avec leur propre vision, leur graphisme et leur manière de découper les pages pour raconter une histoire avec une charte graphique commune. C’était intéressant de travailler en commun.

On observe le même phénomène côté scénaristes puisque Denis Lapière a succédé à Jean Annestay à partir du tome quatre du Roi vert. C’est parce qu’il y a eu mésentente ou parce que ça ne l’intéressait plus ?

C’est une affaire purement interne chez Dupuis mais j’ai cru comprendre qu’ils n’étaient pas satisfaits de la manière dont il travaillait, beaucoup s’en plaignait plus ou moins. Etant nouveau dans le métier, c’était mon premier scénariste, je m’en étais accommodé. Pour Dupuis, Le Roi vert représentait un gros enjeu avec une énorme mise en place du premier tome et, si je me souviens bien, Annestay avait prévu six-sept albums.

Parallèlement Dupuis lançait aussi deux autres adaptations de Sulitzer, Hannah dessinée par Franz et Rourke par Marvano. La manière d’Annestay de découper les choses, de raconter ses histoires, leur a aussi posé problème, Franz a terminé seul cette série-là et un autre scénariste a également pris le relais sur Rourke. Dupuis l’a donc gentiment remercié et c’est Denis Lapière qui a été sollicité pour reprendre le relais.

Denis a eu l’intelligence de modifier l’histoire de Sulitzer qui ne se terminait pas sur une note très écologique. Dans le roman, le Roi vert pour sauver les Guaribos, la tribu des Indiens d’Amazonie, construisait une ville dans la forêt vierge, construisait des aéroports en rasant la moitié de la forêt ! C’était paradoxal par rapport à l’esprit écologique de la chose. Alors Denis Lapière a modifié le topo en faisant rentrer cette nation dans l’ONU mais tout en préservant la nature, la faune et la flore de la forêt vierge.

Puis vous avez remis le couvert avec Denis Lapière sur Luka.

Voilà, tout à fait ! Cela s’est fait trois-quatre ans après Le Roi vert, en 1996. À l’origine, c’était l’histoire d’une nana qui devait se dérouler aux Etats-Unis mais chez Dupuis ils n’étaient pas chauds. Du coup, ça se passe en France, dans le milieu marseillais, avec un personnage, ni détective, ni policier, mais avec un passé assez tortueux : fils d’Ukrainien, son nom de famille c’était Borshogorovochnyy…

Vous avez ensuite démarré Ethan Ringler avec votre nouveau partenaire, Denis-Pierre Filippi. Quelle est la genèse de ce projet et pourquoi avoir ensuite intercalé les deux derniers Luka ?

Je me sentais capable de faire deux albums en même temps, Ethan Ringler d’un côté et poursuivre Luka de l’autre. En fait après avoir passé six ans sur Luka, j’ai demandé à mon éditeur de me faire faire autre chose que du contemporain. J’avais envie de faire du western. Ils m’ont proposé une histoire de Denis-Pierre Filippi qui a donné Ethan Ringler. Et, comme pour Luka, la série s’est arrêtée bizarrement chez Dupuis.

Luka n’a pas été prépublié dans les pages de Spirou, c’était considéré comme une série trop adulte pour les lecteurs du journal ?

Pas vraiment, quand on voit Lady S ou Jérôme K. Bloche… Je ne sais pas, c’est une affaire d’éditeur, c’est une sorte de souk ! Cela m’aurait bien intéressé mais ce n’est pas bien important parce que même les gens qui ont été prépubliés dans Spirou se sont fait jeter comme des merdes aussi, du moins certains, d’une manière vraiment très peu courtoise.

Quand faire de la BD, c'est rendre hommage au genre.

Passer d’un univers à l’autre ne vous pose aucun problème ?

En gros, passer du contemporain à l’époque de New York en 1880, c’est changer catégoriquement de continent, d’habillement, de mentalité chez les personnages, et découvrir un autre univers, celui de Denis-Pierre. Et puis de plonger dans la documentation que j’ai trouvée sur New York à cette époque-là, c’était très enrichissant et ça m’a permis justement de m’éclater complètement. D’une certaine manière, ça m’a rapproché de Giraud, involontairement. J’étais fan de lui depuis que j’avais découvert la bande dessinée réaliste avec Blueberry alors qu’au départ j’étais fou d’Astérix, Tintin.

Etant gamin j’aimais dessiner les chevaux, reproduire les Romains. J’aimais bien les péplums qu’on voyait à la télé à l’époque et Astérix représentait bien ça sur un mode comique. Je suis tombé beaucoup plus tardivement sur Blueberry et c’est là que je me suis aperçu que la bande dessinée réaliste correspondait même à un cinéma que j’aimais bien. Les découpages de Charlier ont sûrement aidé à faire en sorte que j’ai adhéré complètement à ce genre de bande dessinée. Alors Ethan Ringler représente pour moi une sorte de clin d’œil à tout cela et j’ai pris un réel plaisir à dessiner des personnages dans cet esprit-là.

Justement, l’ambiance de l’Irish lace rappelle celle de l’album Chihuahua Pearl. On a vraiment l’impression de revoir les pages de Blueberry à ce moment-là !

C’est un hommage, et en plus je ne pouvais pas dessiner autrement ces choses-là. C’est comme si j’avais déjà été dans les bordels de Chihuhua Pearl là-bas au Mexique et que j’avais vu les mêmes scènes ! C’était une mémoire visuelle.

Dans le tome 5 d’Ethan Ringler, on voit une affiche avec le titre du film de Leone Duck you sucker – A fistfull of dynamite ainsi qu’un Corto Maltese qui se ballade dans le quartier avec une chinoise…

Justement dans Blueberry street ! À un moment donné on voit même dans un cimetière une tombe où repose un certain John Mallory, le personnage joué par James Coburn dans Il était une fois la révolution et un peu plus loin celui de Juan Miranda du même film. Dans le dernier tome aussi, page 38, sous quelques feuilles au premier plan, j’ai dessiné deux-trois Schtroumpfs qui sont en train de les suivre du regard !

C’est un hommage à toute la BD qui m’a fait rêver quand j’étais gamin, Johan et Pirlouit, les Schtroumpfs de Peyo. Qu’est-ce que j’ai pu lire ces trucs-là !

Quand à la série Nouveau Monde, le 3ème tome s’achève sur la mention « fin de l’épisode ». Cependant tout porte à croire que c’est fini.

Pendant que je réalisais le tome 3 de Nouveau monde, j’avais contacté Frank Giroud pour faire les Fleury-Nadal puis, par un concours de circonstances, j’ai tout de suite embrayé sur le premier tome de Mexicana. Mais il n’est pas exclu qu’un second cycle de Nouveau monde puisse se faire plus tard.

Une particularité dans votre travail : vous faites coexister dans les mêmes cases des personnages à la physionomie très fignolée avec des personnages plus jetés, à la limite parfois de la caricature. Est-ce dû à votre rythme de travail, particulièrement rapide ?

En général quand je travaille sur un personnage qui va devenir très important et récurrent, je le croque de manière assez sympa pour avoir toujours le plaisir de le dessiner. Les personnages secondaires viennent comme ça, tombés du crayon !

Il m’est arrivé de dessiner des personnages qui auraient pu être secondaires, donc je leur ai fait une gueule pas trop plaisante à dessiner, malheureusement. Par exemple dans Ethan Ringler il y a des personnages que j’aurais voulu mieux dessiner mais c’était impossible de les faire mourir. J’ai dû me farcir des gars avec des gueules pas possibles à dessiner car ce n’est pas évident de trouver des seconds rôles.

Et au contraire, quelques fois il y a un personnage à qui on donne une super tronche, intéressante à reproduire et à développer dans les expressions, mais malheureusement ce sont des gens qui meurent au bout de trois planches !


Planche inédite du prochain tome de Mexicana

Un auteur aux multiples projets.

Votre vitesse de réalisation a de quoi surprendre puisque pour la seule année 2013 vous publiez les deux tomes des Fleury-Nadal en février et en mai et le 1er tome de Mexicana en septembre !

En fait le premier des Fleury-Nadal était déjà dessiné et prévu pour sortir en novembre 2012. Il a été décalé sur 2013 afin d’écourter le délai de publication entre les deux tomes. Mais il est vrai qu’entre le tome 2 des Fleury-Nadal et le premier tome de Mexicana le rythme de travail de réalisation de l’album a été d’à peu près six mois. En 2014, il n’y en aura pas trois ! Il y en aura un et si j’ai fini le tome 3 de Mexicana ça en fera deux mais pas davantage !

Dessiner deux planches par semaine, ça vous laisse quand même le temps de prendre un peu de répit ?

Non parce qu’on dit deux planches par semaine, mais selon les planches, les deux planches hebdomadaires ne sont pas forcément tout à fait terminées. Il a pu y avoir quelques soucis sur certains détails, alors je les mets de côté et je reviens dessus un plus tard quand je pense pouvoir résoudre le problème. Parfois cela ne tient qu’à quelques aplats noirs, quelques crottes de mouche à droite à gauche pour finaliser la planche mais il arrive qu’on découvre une planche qui gêne un peu, et alors il peut m’arriver de la changer complètement.

Vous n’assurez jamais la couleur de vos albums. Vous pensez que c’est un autre métier?

Tout à fait. Il y a des gens qui le font très bien mais j’estime que je n’ai pas le talent nécessaire pour m’y aventurer ! Peut-être ça viendra un jour en voyant comment certains autres pratiquent. Travailler sur les couleurs, les ambiances, les chaleurs, les lumières, etc. c’est spécial, ce n’est pas donné à tout le monde.

Vous avez la possibilité d’influer sur le travail des coloristes ? Vous donnez des instructions?

Sur une planche en noir et blanc, ça ne saute pas forcément aux yeux si c’est une scène de jour ou de nuit. Il y a donc certaines couleurs qu’il faut préciser d’entrée. Mais c’est aussi le goût personnel du coloriste qui rentre en jeu et je laisse libre-cours à son talent, car il est important aussi qu’il puisse s’éclater sur les ambiances, les lumières.

Frank Giroud a récemment déclaré qu’il était ravi de votre concours sur Missak, allant jusqu’à dire de vous que vous avez été le meilleur de ses partenaires graphiques sur ce spin-off. Un compliment qui vous va droit au cœur ?

Evidemment ! Déjà Frank c’est quelqu’un que j’apprécie pour son travail, son efficacité, etc. Je ne voudrais pas en rajouter des tonnes mais c’était un régal de travailler avec son scénario. D’ailleurs il est question de refaire quelque chose ensemble après Mexicana en attendant que Matz se propose de me filer autre chose car ce sera aussi un régal de retravailler avec lui.

Vous avez eu la possibilité de faire des repérages sur place pour le décor de Mexicana ?

Non, c’est uniquement sur documentation. Et ce qui est intéressant dans le western moderne c’est justement de pouvoir mêler des objets ultramodernes comme des écrans plats, des paraboles et de les coller dans des décors de western.

Et faire un album en solo, ça ne vous a jamais tenté ?

Si, il était même prévu à un moment donné que je reprenne Luka tout seul mais ça ne s’est pas fait.

Haut de page

Commentez

1200 caractères restants

Commentaire (1)

bravo Gilles, bien parlé ! Tu as du talent !!!

Le 30/12/2013 à 18h38