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Le tribut sanglant des colonies

La France de 1914 est peuplée, mais elle l’est moins que l’Allemagne. Pour combler ce fossé, elle dispose cependant de ses colonies. Elle y a « apporté la civilisation et la démocratie », elle estime donc qu’elle peut bien y puiser un peu de chair à canon en échange. Plus d’un demi-million d’hommes vont ainsi rejoindre le drapeau tricolore et la boue des tranchées.

Ne pas être un soldat comme les autres

Les tirailleurs sénégalais occupent le devant de la scène dans l’hommage que rendent les éditions Physalis aux combattants venus des colonies. Demba Diop et Sang Noir mettent au premier plan ces hommes venu de l’autre bout du monde, mourir dans la boue française.

De pays, de langue et de religions différentes, ces 500 000 soldats des colonies françaises ne vivent pas la Première Guerre mondiale comme les poilus français. Confrontés au racisme paternaliste qui domine la société d’alors, ils vont faire face aux mêmes absurdités de la part d’un état-major qui cherche une solution offensive depuis le début de la guerre sans jamais se remettre en cause.

Une photo d'époque de la « Force noire »

Une photo d'époque de la « Force noire » issue du dossier de Sang Noir

La grande nouveauté dans ces projets de bande dessinée c’est justement de traiter les destins de ces hommes qui, trente ans avant les grands mouvements indépendantistes, vont verser le sang pour une république colonisatrice qu’ils connaissent mal. Dans Demba Diop autant que dans Sang Noir, la guerre elle-même n’est ainsi qu’un des aspects mis en avant par les auteurs, qui se focalisent surtout sur les souffrances individuelles des soldats coloniaux.

Le sort réservé aux récalcitrant à la guerre...

Le sort réservé aux récalcitrant à la guerre, narré dans Demba Diop...

Tout commence dans les colonies d’Afrique où le recrutement français se fait sur base d’un don d’hommes de la part du chef du village voire d’un rapt lorsque les villageois se montrent récalcitrants. Vient ensuite le voyage vers l’Europe puis la formation et l’expérience du front.

Les deux héros, Yacoumba, dans Sang Noir et Demba, dans l’album éponyme, sont hantés par l’image d’une femme qui les attend chez eux. Ils seront confrontés à un état-major pour qui l’Afrique ne parle qu’une seule langue… Même si 400 000 hommes ont combattu en Afrique, c’est l’Enfer des tranchées sur le front français qui forme le décor des deux tomes.

Deux tirailleurs sénégalais au destin différent

L'horreur, la même pour tous...

L'horreur, la même pour tous...

Néanmoins les similitudes s’arrêtent là et la manière qu’ont eue les auteurs de traiter l’implication des tirailleurs sénégalais est très différente d’un album à l’autre. Sang noir se place dans une vision dénonciatrice du racisme de l’époque. Il appuie à outrance sur la peur des soldats blancs qui répond à la témérité des tirailleurs qui font fuir leurs ennemis au cours des différentes batailles auxquelles ils participent. Quant à la « leçon » de morale, elle provient du sous-officier proche de ses hommes prônant un message de tolérance. Si le racisme n’est pas l’apanage des Blancs dans cet album, c’est bien l’humanisme qui est enseigné par le courage du soldat vietnamien prêt à se sacrifier alors que personne, même les tirailleurs n’osait affronter le feu.

Demba Diop offre, lui, un point de vue beaucoup plus historique et moins romantique. Les auteurs laissent ces soldats s’exprimer dans leurs langues respectives, dominées par la français qui donne les ordres à toutes les unités, sans se soucier s’ils sont réellement compris. Loin de l’enchainement de batailles montré par Sang Noir, Demba Diop se concentre sur un seul combat qui bouleverse les soldats dans leur corps et dans leur âme.

L'Humanisme comme morale

L'Humanisme comme morale

Ces deux albums se concluent sur les retrouvailles, non pas avec la famille, mais avec le sous-officier qui, seul, a su reconnaître le sacrifice de ses hommes. Le supplément historique présent dans chaque album permet de situer la place des tirailleurs dans la Première Guerre mondiale. Dans Sang Noir, il permet même de comprendre l’importance de l’engagement de ces troupes.

En ces temps de commémoration, lire une autre histoire de la Première Guerre mondiale est nécessaire. Pour savoir et surtout ne jamais oublier…


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