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Gengoroh Tagame démonte les clichés

La différence culturelle comme éclairage


Certaines anecdotes dans le manga mettent en avant les différences entre les cultures japonaise et occidentale...

Oui j'ai voulu éclairer certains aspects de la société japonaise en me basant sur ma propre expérience. J'ai par exemple un ami métisse canadien-coréen qui a voulu aller dans un club de sport et à qui on a refusé l'entrée à cause de ses tatouages. C'est d'autant plus bizarre que le club en question était une chaîne américaine. J'ai trouvé la situation assez ironique !

Extrait du T.1 du mari de mon frère

Extrait du Vol.1 du mari de mon frère © Gengoroh Tagame 2014 / FUTABASHA PUBLISHERS LTD.

Le « hug » est aussi très culturel. J'ai moi-même beaucoup travaillé en France et suis maintenant habitué aux hugs et même à la bise ! Mais la première fois qu'une journaliste française, contente de me revoir, m'a pris dans ses bras, j'ai été très surpris, un peu bloqué ! Ce type d'anecdotes a nourri ce livre.

Pourquoi prendre un personnage canadien en particulier ?

Il y a plusieurs raisons qui m'ont fait opté pour le Canada. La première, c'est qu'il me fallait un pays où le mariage homosexuel est permis, ce qui a déjà limité pas mal les possibilités. La deuxième, c'est que je connais moi-même un peu ce pays, et j'ai un ami homosexuel qui vit là-bas, à qui je peux facilement demander conseil. Enfin, comme ils parlent anglais, je peux me renseigner sur le net quand j'ai besoin d’informations, sans qu'il y ait la barrière de la langue.

Vous abordez l'homosexualité masculine, quelle est la place de l'homosexualité féminine ?

Au Japon, la situation est assez différente pour les gays et les lesbiennes. Par exemple, il y a beaucoup de bars, clubs et revues gays, alors qu'il y a eu sur une très courte période des revues lesbiennes mais ce n'est plus le cas aujourd'hui. Quant aux bars et clubs, il y en a mais c'est anecdotique.

Extrait du Mari de mon frère

Extrait du Mari de mon frère © Gengoroh Tagame 2014 / FUTABASHA PUBLISHERS LTD.

Au niveau familial, il y a pas mal de femmes mariées avec enfants qui ont fini par se mettre en couple avec une femme. C'est plus commun que des couples lesbiens se retrouvent à élever des enfants. Les circonstances font aussi que c'est plus difficile pour des gays d'avoir des enfants au Japon.

Dans le premier tome du Mari de mon frère, un couple lesbien apparaît en photo quand Mike parle à Kana. C'est une façon pour moi de signaler que ça existe aussi. Je voulais également casser le vieux cliché des lesbiennes automatiquement un peu masculines, aux cheveux courts... Moi je connais des personnes tellement différentes ! J'ai voulu intégrer ça dans le manga, en représentant deux femmes loin de ce stéréotype.

Mais je pense que, n'étant évidemment pas moi-même lesbien, je ne suis pas le mieux placé pour en parler de manière juste. Dans ma démarche artistique, je peux parler de ce que c'est d'être gay en tant qu'homme, c'est ce qui habite mon travail dans toutes mes œuvres. Je m'appuie sur mon vécu, mon intériorité. L'art c’est pour moi l'expression de soi-même, c'est pourquoi je ne serais pas le mieux placé pour en parler. J'espère qu'une auteure lesbienne pourra faire autre chose pour compléter ma vision, et qu'un auteur transsexuel pourra faire de même, ainsi qu'un auteur bisexuel, etc. Si chacun peut avoir la parole de manière équitable c'est comme ça que les droits LGBT avanceront, d'une manière globale.

Comment travaillez-vous le dessin ? Le changement de registre n'a pas été une difficulté pour vous ?

Je dessine tout seul, sans assistant. Globalement, mon processus de travail ne change pas. Simplement, ce qui n'est pas évident, pour mes œuvres érotiques j'ai un trait plus épais, plus gras et prononcé. Pour Le mari de mon frère, j'ai voulu donner plus de légèreté. Mais ça n'a pas été spécialement difficile, je me suis adapté spontanément.

Extrait de la couverture du Vol.3 du Mari de mon frère

Extrait de la couverture du Vol.3 du Mari de mon frère
© Gengoroh Tagame 2014 / FUTABASHA PUBLISHERS LTD.


Combien de tomes sont prévus ? Avez-vous d'autres projets ?

Ce n'est pas défini très clairement, mais après Le mari de mon frère, j'aimerais pouvoir mener de front des œuvres érotiques et d'autres tout public. Ce dont je ne suis pas sûr en revanche, c'est que ce que j'aurai envie de dessiner pour le grand public sera accepté par les revues qui leur sont destinées. Le mari de mon frère est une histoire qui se place d'un point de vue hétérosexuel, comment ils peuvent percevoir l'homosexualité. J'aimerais écrire par exemple l'histoire d'un jeune homosexuel qui découvre sa sexualité et est un peu perdu dans sa vie. Mais ce n'est pas évident qu'un éditeur soit intéressé par ce genre d'approche... J'espère que ce sera accepté !

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