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Céline comme défi

Tirer une BD truculente de la cavale d’un des écrivains les plus controversés du XXème siècle, Louis-Ferdinand Céline, seuls Christophe Malavoy et les frères Brizzi ont osé. Retour sur un pari BD relevé haut la main par un comédien et deux dessinateurs issus de l’animé.

Le (trop) controversé Céline

Comment s’est passée votre « rencontre » avec l’univers de Louis-Ferdinand Céline?

Christophe Malavoy : : Après mon film Zone Libre réalisé d’après la pièce de Jean-Claude Grumberg en 2005, je cherchais un sujet pour un autre projet cinématographique. Je me suis rendu compte que l’on n’avait jamais rien fait au cinéma sur l’auteur du Voyage au bout de la nuit, alors qu’il reste encore aujourd’hui l’écrivain incontournable du XXème. Je me suis mis à lire Céline dans sa totalité, les romans, les pamphlets, la correspondance, et les nombreux écrits parus sur lui. Grâce à François Gibault, le biographe de Céline, j’ai fait la connaissance de Lucette Destouches, la veuve de l’écrivain et cette rencontre m’a porté à m’investir encore davantage dans l’univers de Céline.

Vous attaquer à Céline ne vous effraie pas ?

Paul et Gaëtan Brizzi : Rien, à priori, ne nous effraie si nous nous sentons inspirés par le projet et si nos partenaires aiment notre travail. Bien entendu, Céline reste une sommité littéraire mais notre album ne s’adresse pas particulièrement aux Céliniens car nous espérons plaire à tout le monde. Nous avons voulu traiter l’aspect visionnaire et délirant de l’écrivain et laisser de côté la controverse politique. Bon nombre de nos choix professionnels sont pris en fonction de cet aspect fantastique et visionnaire pour lequel nous avons une véritable prédilection.

D'autre part, les situations parfois folles décrites dans le scénario et les personnages pour le moins atypiques nous ont inspirés et les images nous venaient aussitôt à l’esprit. Si on y ajoute l’ambiance sombre, l'érotisme sulfureux et l’humour truculent de cette histoire, tout était réuni pour qu’on saute à pieds joints dans l’aventure !

Comment êtes-vous arrivé au média particulier qu’est la BD pour mettre en scène Céline ?

Christophe Malavoy : Mon projet de film, qui au départ durait 3 heures, demandait en termes de production un gros engagement. Je me suis vite rendu compte de la difficulté de mettre en œuvre un tel projet sans parler des réticences à la simple évocation du nom de Louis-Ferdinand Céline. C’est Dominique Besnehard qui m’a conseillé de réaliser une BD. L’idée m’a d’autant plu que l’univers célinien est très proche du dessin et de peintres comme Brughel, Bosch, Goya que Céline appréciait particulièrement. Le dessin était donc le support idéal pour traduire le délire et la poésie célinienne.

Quant à vous, passer de l’animation à la BD vous a posé des défis particuliers ?

Paul et Gaëtan Brizzi : La Cavale du docteur Destouches est notre première BD. Même si nous sommes spécialisés dans l’animation depuis plus de quarante ans, la BD nous a toujours tentés. Nous avons abordé ce travail en appliquant notre expérience du story-board nécessaire à toute préparation d’un film d’animation au découpage et à la mise en scène de bande dessinée. Comme pour nos films nous avons particulièrement soigné la lumière et la composition de nos images de façon à servir au mieux l’intention du propos.

Par contre, certaines maladresses concernaient parfois l’organisation des bulles par rapport à l’illustration et Futuropolis nous a beaucoup conseillés pour obtenir un meilleur équilibre.

Pourquoi avoir choisi le noir et blanc pour adapter cette tranche de délire ?

Christophe Malavoy : Le noir et blanc sert admirablement les contrastes. Il est moins dans le commentaire que peut l’être la couleur. D’autre part, nous sommes dans la grande période du réalisme poétique du cinéma français… Il était assez naturel de rester fidèles aux images de cette époque, d’autant que nous retrouvions dans notre récit des acteurs comme Arletty et Robert Le Vigan.

Paul et Gaëtan Brizzi : Nous aimons le noir et blanc pour la qualité du contraste et de la lumière. De plus il semble tout indiqué pour cette histoire sombre qui se passe à la fin de la guerre.

Une trilogie en un seul album !

Comment avez-vous travaillé ensemble pour mettre en cases la trilogie allemande ?

Christophe Malavoy : Nous avons d’abord défini l’esprit de la BD que nous souhaitions, le style de dessin. Nous avons évoqués les univers de Félicien Rops, Léon Spilliaert, Alfred Kubin… mais aussi de Francisco Goya, Gustave Doré, Gustave Courbet… un dessin très élaboré en même temps que certaines cases plus dépouillées, suggérées. C’est la sensation et le fameux « rendu émotif », cher à Céline, qui nous a guidés.

Paul et Gaëtan Brizzi : Nos références sont cinématographiques et nos inspirateurs les grands peintres de la fin du XIXeme. A cause du noir et blanc, nous avons pensé à la lumière du cinéma de Fritz Lang (Métropolis, Docteur Mabuse) mais aussi au réalisme poétique de Carné (Quai des brumes, Le Jour se lève) ou Cocteau (La belle et la bête).

Nous adorons la période symboliste en matière de peinture. Spillaert, Arnold Bôcklin et Gustave Doré. En ce qui concerne ces trois derniers exemples, on peut dire que ces peintres sont pour nous des références emblématiques quoiqu’on fasse !

Quelle documentation vous a le plus aidé à mettre en case cette histoire ?

Paul et Gaëtan Brizzi : Nous avons eu recours à l’internet pour avoir la documentation nécessaire à la représentation des uniformes, véhicules et autres objets. Nous avons porté un soin particulier à la ressemblance de nos personnages car ils ont tous existé dans cette histoire.

Avez-vous modifié des scènes pour qu’elles collent plus à la BD ?

Christophe Malavoy : Il y a des scènes qui se prêtent davantage à la BD. Nous les avons assez logiquement développées. Il y a aussi des scènes qui ne sont pas dans la trilogie de Céline, comme la toute première scène qui ouvre l’album, par exemple, avec ce soldat prussien géant qui dévore les habitants de Montmartre… La BD autorise cette liberté.

Une scène vous a posé particulièrement problème à mettre en image ?

Paul et Gaëtan Brizzi : Peut être la page qui se compose d’une unique image. Céline parle de deux choses à la fois ! Il raconte un fait mais il apostrophe aussi le lecteur. Il s’agissait de mettre en scène ses diatribes vociférantes lorsqu’il s’en prend notamment à Sartre, Mauriac ou Proust mais aussi à son perroquet !

Comme souvent chez Céline (comme chez Victor Hugo) lorsqu’il se laisse emporter par ses convictions, ses propos dérivent vite dans le style dantesque ou rabelaisien. C’est d’ailleurs ce qui a fait son style et c'est en cela que c'est excitant pour nous. Comment servir le texte et l'histoire au mieux en étant en symbiose avec ce style par le dessin !

Vous avez fait un immense travail d’adaptation que ce soit au niveau narratif ou des dialogues : quels ont été les choix les plus difficiles ?

Christophe Malavoy : Le principe a toujours été de privilégier le dessin et d’être le plus économe possible dans les dialogues. Ce fut sans doute le plus difficile, car l’écrit chez Céline est d’une grande richesse. Il a donc été très délicat de la transposer. Les frères Brizzi ont saisi l’enjeu et l’on retrouve dans leur dessin ce flux, ce courant irrésistible qui vous entraine. Là encore, c’est la truculence qui nous a guidés.

Vous dédiez d’ailleurs ce livre à Lucette Destouches : si vous pouviez n’en citer qu’un, quel a été son apport le plus important à cette œuvre ?

Christophe Malavoy : C’est un soutien moral très important qu’elle m’a apporté. Sa confiance, sa curiosité, sa bienveillance ont été des atouts pour mener à bien ce projet. Je lui en suis très reconnaissant.

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