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La Prison et l'Oligarque

Philippe Gauckler a récemment lancé sa nouvelle série : Koralovski. Centrée sur l’histoire d’un oligarque condamné par le pouvoir politique russe pour son opposition, cette série fait évidemment écho aux déboires de Mikhaïl Khodorkovski face à Vladimir Poutine dans les années 2000. Un récit réaliste, un travail de recherche de longue haleine, et de la passion à revendre : retour sur la naissance de Koralovski.

Koralovski ou Khodorkovski ?

Comment avez-vous commencé à travailler sur Koralovksi ?

Philippe Gauckler : C’est venu après la présentation de trois projets aux éditions du Lombard, dans trois univers assez proches. Les projets avaient été refusés ou assortis de nombreuses corrections. J’ai donc repris le troisième projet, dans lequel j’avais développé l’histoire d’un espion infiltré dans une société militaire privée, type Blackwater, qui était soupçonnée de liens avec des groupes terroristes. Cette armée privée était chargée de la protection de sites stratégiques au Moyen-Orient, principalement des installations pétrolières.

C’est là que j’ai commencé à m’intéresser à l’univers du commerce du pétrole. Je suis rentré dans un descriptif hallucinant qui m’a fait remonter le temps et voir du pays ! Et au milieu de cette histoire d’une richesse incroyable, je suis tombé sur celle de Mikhaïl Khodorkovski. Khodorkovski était un oligarque qui s’était enrichi et avait prospéré sous les années Elstine grâce aux grandes dérégulations de l’époque et aux ventes d’entreprises publiques, notamment l’industrie lourde productrice d’énergie et de matières premières.

Khodorkovski a eu un itinéraire assez incroyable : il s’est opposé à Poutine qui commençait à reprendre en main toutes ces entreprises vendues à très bas prix dans les années 90. Puisqu’il s’opposait frontalement et publiquement à Poutine a été arrêté et jeté en prison. C’était un avertissement envoyé au reste de l’oligarchie, qui l’a d’ailleurs bien compris. Khodorkovski avait d’ailleurs été prévenu. Mais il avait tellement de soutiens et de relations en Russie et à l’étranger qu’il ne s’inquiétait pas d’une arrestation éventuelle. Même en détention préventive, il était convaincu que le procès n’irait pas plus loin. Il a depuis été libéré juste avant les Jeux de Sotchi.

Cet univers de l’exploitation du pétrole m’a tellement fasciné par sa richesse dramaturgique et sa diversité que je ne savais pas par quel bout commencer. J’ai donc décidé de créer des personnages parallèles : un Khodorkovski-bis en somme. J’avais à peine besoin de pousser le récit des événements pour en faire un scénario ! C‘est finalement un projet qui a mis du temps à apparaître au milieu de beaucoup de recherches sur des sujets qui me passionnent.


L’actualité autour de la Russie est plutôt chargée en ce moment. Tous ces évènements vont-ils changer votre façon d’écrire la série ?

Oui, bien sûr ! Je suis en apprentissage permanent sur l’univers du pétrole et les relations de pouvoirs qu’il entraîne. C’est très difficile d’avoir une vision globale du sujet qui ne soit pas biaisée ou largement incomplète. Je me sens revenu sur les bancs de la fac ! Je suis très attaché à la réalité, mais mon histoire reste parallèle et fictive. Je ne ferais probablement pas de grande analyse de la diplomatie ou de l’économie russes, mais ce seront deux grandes toiles de fond qui vont imbiber le récit en permanence.

La Russie est un État qui a dû faire face à une renaissance difficile. Après l’effondrement du communisme, le niveau de vie et l’économie se sont effondrés. Poutine reste aujourd’hui perçu comme l’homme providentiel, ou plutôt le médecin de guerre qui a tenté des trucs brutaux mais efficaces. À l’inverse, en Occident, on le considère souvent comme un dirigeant corrompu. Parce qu’en effet au début des années 2000, il a resserré l’emprise de l’État sur l’économie en ralentissant l’ouverture massive des capitaux à l’international Ce qui évidemment a été très mal vu des milieux d’affaires occidentaux.

Le délicat équilibre entre fiction et Histoire

Vous donnez également une interprétation particulière de l’état des réserves pétrolières.

Oui, l’opposition entre un modèle dans lequel le pétrole serait en quantité virtuellement infinie et le modèle réel. Si dans les années 70, on avait validé un modèle scientifique dans lequel le pétrole est présent en quantité infinie, cela n’aurait eu aucun impact, puisque le pétrole était déjà disponible en abondance.

Aujourd’hui, les réserves de pétrole naturel se font rares. Mais dans le modèle que je développe, les réserves infinies sont à des endroits tellement difficiles d’accès que le coût d’exploitation serait très élevé. Donc les contraintes énergétiques sont les mêmes que dans la réalité. Pour l’instant du moins !

Au-delà de Koralovski, l’autre figure centrale de cet album est une journaliste qui enquête sur l’affaire mais aussi les compagnons d’évasion de Koralovski, etc. Comment avez-vous construit vos personnages secondaires ?

La journaliste, c’est moi tout simplement ! Elle fait les découvertes en même temps que je les fais. On fait le même boulot, on se pose les mêmes questions ! Quant à Koralovski, il s’évade avec un journaliste et un ancien militaire vétéran de la deuxième guerre de Tchétchénie, à qui j’ai un peu donné les traits de Depardieu d’ailleurs. Enfin, le président est principalement basé sur Poutine. Tous ces personnages me permettent en fait de donner plusieurs points de vue sur l’intrigue. Pour un premier tome, c’est vrai que cela oblige à éclater un peu la narration. Le rôle-titre est partagé !

Comment avez-vous travaillé le dessin ?

J’ai obéi aveuglément au scénariste en moi [rires]. C’est un premier épisode dense, j’ai beaucoup d’informations à faire passer en seulement 46 pages. J’étais obligé d’accepter des petits sacrifices de dessinateur : j’ai opté pour un style semi-réaliste (et non hyper-réaliste) en coupant tout le superflu. Et puis, ça me laisse aussi une marge de progression : le deuxième tome sera sûrement moins dense, plus relâché, ce qui devrait laisser plus de place au dessinateur !

L’apport documentaire doit être le plus léger possible, ce qui a souvent été un crève-cœur, mais sinon on y sacrifie la fluidité du récit. Mais je me pose en permanence la question de l’équilibre délicat entre la fiction et l’Histoire. Je suis sûr, en tout cas, de ne pas proposer de choses trop insensées au niveau du scénario : le monde de l’industrie pétrolière est suffisamment riche en coups tordus pour ne pas devoir aller les chercher trop loin ni à céder à la facilité du scénario « grand complot ».

Au bout de trois volumes, on arrivera en tous cas à une fin de cycle, avec évidemment une petite arrière pensée pour 2017 et l’anniversaire de la Révolution russe !

Quels projets pour l’avenir ?

La suite de Koralovski m’occupe beaucoup l’esprit ! La série se nourrit beaucoup du réel et en ce moment, l’actualité me donne beaucoup de pistes intéressantes à creuser. Dans l’ensemble, j’aimerais pouvoir mettre en cases tout ce que j’ai pu apprendre sur la Russie et l’industrie énergétique ! Donc je pense pouvoir maintenir un rythme de parution de deux albums par an.

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