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Le Far West au bout de la galaxie

Alors que les premiers chapitres de Drifter sont disponibles en version numérique, Ivan Brandon raconte comment Nic Klein et lui ont bâti leur Ouest sauvage, au cœur d’une galaxie lointaine. Avec quelques révélations et de nombreux secrets, ce scénariste nous ouvre son univers aussi rude que le Far West.

De la « science-fiction sale » au goût de western

Comment travaillez-vous avec Nic sur ce projet ?

Nic et moi avions déjà travaillé ensemble. Un jour, il vient me voir avec cette idée, encore très basique à l’époque, d’un western qui intégrerait des éléments de science-fiction. Nous l’avons développée ensemble sur un mois ou deux et tous les éléments sont venus rapidement. Le processus était très naturel, très organique !

Nous écrivons la plupart de nos idées à deux. On se retrouve au début de l’écriture de chaque numéro pour parler de ce que l’on veut voir dans le chapitre. Après j’écris  le déroulé sommaire des évènements de chaque séquence. Partant de là, j’écris un script où je mets surtout l’accent sur l’ambiance, les expressions et les émotions des personnages et le timing qui est très important. Je décris plus l’âme de l’histoire que ses moindres détails, pour que Nic garde sa liberté d’interprétation.

Qu’est ce qui vous attirait dans le mélange entre western et science-fiction ?

J’aime écrire des intrigues qui peuvent avoir l’air totalement stupides sur le papier mais pas dans leur réalisation. Les éléments western sont apparus comme logiques dans le monde que l’on était en train de construire. La colonisation de nouvelles planètes peut ressembler à la conquête de l’Ouest.

On a d’ailleurs appelé cela de la « SF sale ». La plus grande partie de nos technologies actuelles fonctionnent à partir d’infrastructures lourdes, un téléphone a besoin d’un réseau qui repose sur des tours de communication et je ne vous parle même pas du réseau électrique nécessaire pour le recharger ! Toutes ces infrastructures sont extrêmement difficiles à transporter, notamment sur une nouvelle planète. Les colons doivent donc réapprendre certaines choses qui ne font plus partie de notre culture contemporaine. Lorsque j’écris, j’aime m’interroger sur des éléments qui ne sont pas contemporains ou réalistes, mais qui semblent crédibles dans les univers que je développe.

Comment avez-vous construit Pollocks, votre personnage principal ?

C’est assez difficile à expliquer sans ruiner la surprise [rires]. Disons qu’il a un but pour lui-même et une fonction pour son environnement… C’est un personnage avec ses défauts, qui se sent coupable d’erreurs commises par le passé. J’ai été très influencé par les personnages de romans, comics et films noirs que je dévorais étant jeune. Son premier obstacle est lui-même: il se débat plus face à ses démons que face aux armes et aux monstres.

Pourquoi faire cumuler les fonctions de médecin et de shérif  à un seul personnage ?

C’est intéressant, parce que tout le monde pense d’abord à la fonction de médecin de ce personnage, son côté protecteur ressort peut être plus fortement que je ne l’avais anticipé.

Paradoxalement en faire un médecin et un shérif m’est apparu comme logique assez tôt dans l'écriture, parce que j’aimais l’idée que le responsable de la loi soit aussi en quelque sorte responsable des conséquences de la justice. Théoriquement, si elle faisait son travail à la perfection, à ses yeux, elle n’aurait paradoxalement plus rien à faire.

Une figure marquante est aussi celle du prêtre, fanatique et à moitié fou…

Le prêtre prend plus d'importance à partir de la deuxième moitié du premier volume. Il est confronté à la difficulté de continuer à professer la foi chrétienne sur une autre planète. Il a du mal à comprendre le fonctionnement de cette nouvelle planète, où la dichotomie classique entre le bien et le mal qu’il utilisait sur Terre n’a plus vraiment cours. Son éthique n’est tout simplement pas conçue pour cette planète : à un moment, comme vous le découvrirez, quelque chose en lui s’est brisé. Il représente une autre part du capital humain, culturel ou technologique que l’on aurait du mal à transporter sur une nouvelle planète.

Les Mystères de Drifter

Que pouvez-vous nous dire sur les Rouleurs ?

Cette planète a des ressources très limitées, elle a longtemps été une planète minière pour d’autres espèces, mais aujourd’hui, il ne reste plus grand chose. Les Rouleurs doivent donc vivre avec des ressources limitées, en somme ils ont le même objectif que la colonie : survivre. Mais leurs perspectives sont très différentes : ils ont un point de vue très particulier sur l'existence de manière générale.

D’ailleurs l’énergie produite par cette planète l'est, littéralement, sous la forme de déjections…

Sur notre planète, les énergies fossiles sont aussi, en partie le produit de déjections. Le pétrole est constitué principalement d’éléments fossilisés, ce qui inclue probablement la merde de dinosaure. Nous sommes aujourd’hui très déconnectés de l’idée de nature et de notre dépendance à celle-ci, de son aspect animal et organique. On a inventé des produits extrêmement sophistiqués, mais toujours à bases de cailloux.

Comment avez-vous construit l’organisation sociale et politique de cette colonie?

Les structures de pouvoir sont différentes de celles que l’on connaît sur Terre. Sur cette planète plusieurs espèces cohabitent, dont une plus puissante que les humains, au sens politique du terme. Sur Terre nous sommes indiscutablement l’espèce dominante, mais je veux jouer un peu avec l’arrogance humaine sur une planète où ils ne sont pas l’espèce dominante. «  Arrogance » est peut être un mot un peu fort, il s’agit plutôt de l’ego que chaque humain possède, si humble soit-il et de ses réactions face à quelque chose de plus puissant que lui.

Vous avez d’ailleurs construit la ville à proximité d’un gigantesque arc de pierre alien…

Haha, je ne révélerais pas pourquoi il a été construit. Ce n’est pas du tout une Porte des étoiles [rires] mais sa fonction sera révélée par petites touches au fil de l’intrigue. Cependant je peux vous dire que la construction de la ville est très particulière. Il y a plusieurs raisons pour lesquelles celle-ci s’appelle Ghost Town, notamment parce qu’elle est construite sur le cimetière d’une civilisation précédente.

Quelles sont vos sources d’inspiration de manière générale ?

Je n’ai pas d’inspiration directe, les connexions se font souvent à des moments un peu aléatoires [rires]. Mais à l’heure actuelle, il y a certains d’auteurs indépendants qui m’inspirent, avec le renouveau des comics cette année. Le plus important pour moi c’est surprendre le lecteur avec quelque chose qu’il n’a pas vu jusqu’ici. Ce qui nécessite paradoxalement de lire pas mal de science-fiction dans le cas de Drifter, à la fois pour nourrir mon travail mais aussi pour éviter de reproduire quelque chose qui a déjà été fait.

Au niveau du dessin, il y a en tout cas une influence européenne certaine, Nic et moi sommes deux grands fans de Moebius. Il y a aussi The Proposition, un western australien très froid dans son approche de la réalisation et des décors. Sans compter beaucoup d’influences inconscientes !

D’autres projets pour l’avenir ?

Je travaille sur deux nouvelles séries qui seront annoncées cet été chez Image Comics. Et il y a aussi Vikings dont j’aimerais clore l’arc en cours et en lancer un second. Je travaille également sur quelques histoires de super-héros dont je ne peux pas parler à l’heure actuelle.

L’une de ces histoires sera également de la science-fiction, mais dans un monde vraiment loin de celui de Drifter. Le thème principal est aussi l’ego, mais à travers le prisme des médias. L’autre est une reprise urbaine de légendes et de contes, sur laquelle je travaille avec Jason Latour, qui a récemment signé Southern Bastards.

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