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Fabrice Le Hénanff redonne vie à Modigliani, artiste maudit

Fabrice Le Hénanff sort le 9 octobre Modigliani, prince de la bohème chez Casterman, sur un texte de Laurent Seksik. Il vient aussi de participer au collectif Petites histoires de la Grande Guerre, coordonné par le scénariste brestois Kris. Discussion bucolique à bâtons rompus dans la quiétude de son jardin baigné de soleil à Quimperlé, dans le Finistère.

Du théâtre à la BD

Modigliani au coeur de Paris
Comment est né le projet ?

J'avais beaucoup aimé ce que Guillaume Sorel avait fait du texte de Laurent Seksik sur Les derniers jours de Stéphane Zweig. J'aime le dessin de Guillaume et c'est ce qui m'avait fait rentrer dans la BD. Puis j'ai découvert le texte qui m'a beaucoup plu. Il a ensuite été adapté au théâtre.

Laurent Seksik a écrit une seconde pièce sur Modigliani et l'a proposée à Casterman. Moi, à la suite de la disparition de 12bis, je suis parti avec mes petits bras musclés et mes dossiers sous le bras et je suis allé voir Casterman. Ils me l'ont proposée.

Ont-ils pensé à toi par rapport à ton style ?

C'est un hasard. Je lis la pièce et j'ai vu que c'était super bien écrit. Tout était déjà là. J'ai commencé quand je venais de sortir Westfront, c'était à l'automne 2012. Mes BD étaient chez 12bis qui a été racheté juste après par Glénat.

Au-delà du texte, est-ce que c'est le personnage t'a touché ?

Non, pas du tout. Ce n'est pas un des peintres que je préfère. Je le connaissais de nom, ses tableaux mais pas sa vie. Ce qui m'intéressait, c'était la période : Paris, les années 20, la guerre, voilà. J'avais déjà travaillé sur cette période-là sur Les Caméléons il y a dix ans. Après, le but, c'était de faire sortir les personnages de la pièce et puis de les faire évoluer dans Paris ou ailleurs, à Nice.

La guerre est un thème que tu affectionnes beaucoup...!?

Oui, mais il y aussi la peinture. Si j'avais fait une suite aux Caméléons, ça aurait été dans ce milieu-là. On parlait déjà de la peinture de cette période. Par rapport à la guerre, je viens de participer à un album collectif piloté par Kris, Petites Histoires de la Grande Guerre. Il a demandé à plusieurs dessinateurs de réaliser une planche sur un de ses scénarios en partant d'un objet de la Der des ders. J'ai eu la veste trouée.

La planche de Fabrice Le Hénanff : La Veste trouée

La planche de Fabrice Le Hénanff : La Veste trouée

Quelque part, était-ce aussi une satisfaction qu'à un moment donné, l'univers artistique de cet auteur t'amène à replonger dans la guerre ?

Si, mais comme je te l'ai dit, j'aime cette période... C'est vrai que dans l'histoire, il est sensible à la guerre, il ne veut pas quitter Paris parce que les Boches arrivent. Alors bon, moi je ne connais pas la vérité parce que je pense que c'est bien romancé. Même si le scénariste a une très grosse base de documentation, c'est lui qui crée les dialogues. C'est une interprétation de ce qu'aurait pu être Modigliani, comment il se comportait. Il n'était pas un personnage très sympathique...

On le voit dans son rapport avec son agent ou même avec Jeanne, sa compagne...

Je pense que l'auteur a forcé le trait mais que Modigliani pouvait être comme ça. Enfin, ça résume un beau gâchis quoi. Il n'a pas eu l'intelligence ni le sens des affaires de Picasso.

Il ne lui a pourtant pas manqué grand chose pour bien vivre de sa peinture. Son problème, c'est qu'il voulait faire de la sculpture et qu'avec la maladie, il en était réduit à faire de la peinture, à défaut.

Au niveau technique, qu'as-tu utilisé ? Tu as travaillé sur du bois auparavant et là...

Non là, c'est uniquement sur papier aquarelle à fort grammage et aux encres de couleur. Un peu toutes techniques : y a du crayon, des pastels et des encres.

Qu'est-ce qui te dictes la technique que tu utilises : c'est le rendu que tu veux donner, c'est l'histoire, comment ça se passe ? Il n'y a pas vraiment de règles ?

Non il n'y a pas vraiment de règles. Le gros problème, c'était de reproduire ses toiles.

C'est la plus grosse contrainte ?

Oui, et le problème de droit par rapport aux tableaux, le droit de citer ou de ne pas citer, tu vois. Je fais une reproduction et je peux être accusé de plagiat, de faussaire. Mais comme il n'y a qu'une partie du tableau, j'ai essayé de trouver des tableaux qui étaient des images libres de droit. Le but c'était de retrouver le crayonné qui aurait pu être à la base du dessin, d'inventer sa création.

De Modigliani... à Elvis

As-tu senti une pression autre que quand tu fais des oeuvres qui n'engagent que toi ?

Ouais, il faut que ça ressemble, que ce soit fidèle. Modigliani est un mec qui a très peu produit en extérieur, seulement trois œuvres, à Nice.

Mais c'est quelqu'un qui a beaucoup créé et il y a eu énormément de faux après sa mort. Il a fait beaucoup, beaucoup de choses.

Il n'a pas eu une unité dans la façon d'être, il s'est laissé complètement allé...

Oui. Et Laurent Seksik le voyait toujours beau, romantique. Moi je voulais quelque chose le plus humain possible, les différentes facettes. C'est pour ça que son visage change aussi dans l'album. J'avais trouvé une photo de lui en 1919 où il était rongé par la barbe. Ce n'est pas celui qu'on connaît. Et j'avais dit à Laurent que je voulais le représenter avec sa barbe.

Tu réussis très bien la pluie...

Ça, j'adore. Ça vient du climat... [Rires]. Le problème dans ce type d'album, c'est d'utiliser des couleurs chaudes. Les pages qui m'ont posé le plus de problème, c'est quand ça se passe à Nice.

Je n'aime pas le soleil ni les couleurs claires ou chaudes. A Paris, ça peut être l'hiver, la neige, la pluie... J'ai regardé la météo aussi à l'époque. C'est des trucs tout cons.

Tu fais aussi un très très gros boulot sur les bâtiments historiques ?

Je travaille à partir de photos, d'époque et modernes. Quand les bâtiments n'ont pas changé. Tu trouves des photos de la Butte Montmartre de l'époque, si tu connais un peu l'architecture, tu vires tour ce qui a été créé dans les années 50 et 60, 70. Tu gardes que les immeubles des années 20-30 max. Tu vires les antennes, les paraboles.

Comment parviens-tu avec la mise en couleur directe, à toucher d'aussi près la réalité ?

C'est juste des jeux de lumière sur le visage. Ombres et lumières. Quand on est dans le pays niçois ou dans le Gard, je n'ai travaillé que sur des jaunes.

Pourquoi n'as-tu pas travaillé sur des planches de bois comme parfois ?

Je n'ai plus le temps. Je vais faire deux-trois planches sur bois dans le mois alors que maintenant, le rythme est de quatre-cinq planches mensuelles. C'est moins précis et je suis revenu à quelque chose de plus réaliste. C'est trop contraignant le bois : le poids, le stockage. C'est original, ça plaît beaucoup aux gens comme support, mais j'y reviendrai peut-être un jour. Avec le papier, je peux faire une planche dans la journée.

Tu aimerais, peut-être pas tout de suite, mais rentrer de nouveau dans l'univers d'un artiste ?

Oui, j'ai toujours en tête une adaptation du Colonel Chabert. Mais j'aimerais bien retravailler tout seul aussi. Cela dit, je ne m'interdis rien. Mais je pensais que je ne ferais jamais des bagnoles modernes et en fait, je vais aller jusqu'à la fin des années 60 aux Etats-Unis avec Elvis donc...

Parle-nous de ce travail en cours, avec qui bosses-tu là-dessus ?

Avec Philippe Chanoinat. On va rester sur les années 50-60 et survoler sa déchéance et ses problèmes. On veut surtout raconter le début de sa vie et les influences qu'il a apportées, le choc qu'il a créé, le style.

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